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Trouble d'une rencontre sur le quai d'une gare...

Je marchais sur le quai gris, au milieu de pigeons perdus et de silhouettes filant à toute allure vers un possible travail. Parfois la stridence d’une rame sur les rails me faisait lever la tête pour vérifier que mon heure n’était pas encore là. Mais il n’y avait pas celui que j’attendais et je continuais d’errer, vide et sans goût.

Soudain dans une vitrine où s’alignaient quelques couvertures brillantes et colorées je le vis. En ombre et lumière d’une photographie noir et blanc. L’homme ibère dans son dernier âge avait les bras croisés sur sa poitrine nue et laissait deviner la chaleur catalane qui l’entourait. Ses grands yeux sombres et profonds semblaient me regarder moi. Un regard triste et intense sur lequel brillait un voile malicieux et fugace. Je m’arrêtai. Il ne m’était pas utile de regarder plus bas le titre du magazine car ce visage était parmi les plus connus de sa génération et son génie pictural le plus mondialement salué. Pourtant là, ce n’était pas l’artiste qui semblait me fixer. Mais un homme aux ridules enchevêtrées comme ses toiles, un homme qui scrute, analyse pour mieux cerner son modèle. Un homme dans sa vulnérabilité, dans son humilité. Son crâne dégarni comme dernière peinture de ce qu’il a vu et vécu.

Je ne bougeais plus, rivée sur celui qui semblait me fixer, et lentement les piles alentour s’effacèrent, les formes qui circulaient d’un pas pressé s’estompèrent…le quai tout entier disparu dans un silence diffus. Il n’y avait plus que lui et moi comme un dialogue invisible et absurde entre l’artiste d’un autre temps et l’anonyme contemporaine que je suis. Pourtant j’en avais la certitude, ce regard-là voulait me signifier quelque chose.

Je n’ai jamais apprécié son style, me rappelant celui d’un enfant de maternelle, pourtant pour la première fois j’eus envie de revoir un de ses tableaux pour l’associer à ce regard et le percer. Et c’est à cet instant que j’ai compris le premier mot que cette photographie de papier glacée voulait me murmurer : La différence, la sortie d’un sentier battu bien tracé ne veut pas dire isolement ou rejet. Elle veut dire force et identité…Etre soi, même autrement, est la première pierre d’une existence apaisée…

Le crissement aigue d’un train arrivant derrière moi me fit revenir à la réalité malodorante et brouillonne. Je levai les yeux. C’était le mien. Je me dirigeais donc vers lui pour y monter et jetais un dernier coup d’œil à celui dont le prénom était en espagnol celui d’un de mes aïeux…Pablo. Et lorsque le train parti, un dernier jeu de reflet me donna l’impression que Picasso me clignait d’un œil.

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