top of page

Tu-es-roc, souvenir d'enfance


Depuis la maison, on voyait la mer. La vue dégagée, en pente douce, s’ouvrait sur la plage du bourg et le port. Seuls quelques pins masquaient en partie la vue. A marée haute, il était même possible de guetter le retour des bateaux, pêcheurs ou touristes aventureux.

Devant la fenêtre de la cuisine, ma grand-mère s’asseyait dans l’une des grandes bergères en velours rouges, un cahier de mots croisés sur les genoux, le menton reposant dans une main, et elle regardait aussi cette étendue bleue, ce bleu émeraude à travers la fenêtre qui contrastait tant avec la pièce peinte en rouge et noir. Au centre, une table ovale prenait presque toute la place, repoussant buffet et vaisselier dans les coins. Lorsqu’on y dînait tous, adultes et enfants, les coudes étaient serrés, les couverts s’entrechoquaient mais jamais le plaisir d’être là, ensemble, ne manquait.

Cette maison était une maison vivante. Vivante de rires et de pleurs, de cris de colère ou de surprise. Elle était un arc en ciel, un arc-en-ciel de vie. Lorsqu’on sortait de cette cuisine et qu’on traversait le corridor, le salon offrait à son tour une palette de couleurs : des fleurs d’or aux murs, des meubles de bois sombres, patinés par le temps, un canapé rose fuchsia et un lit brun et vert coincé dans un coin obscure de la pièce.

Au milieu de ces teintes et de ces formes, deux enfants laissaient glisser leurs mains et leur imagination pour s’y inventer des histoires de cabanes hantées, de princesse à sauver et de trésors cachés dans le grand vaisselier. Avec mon cousin, nous regardions souvent ce meuble, si grand depuis nos yeux d’enfants, et nous tentions d’imaginer ce qu’il renfermait et qui nécessitait que notre grand-mère le tînt toujours fermé à double tour.

Cette maison était multicolore, avec sa chambre verte, sa chambre bleue, sa chambre jaune et sa chambre rose à l’étage. Mais malgré les teintes vives et parfois chatoyantes, elle avait aussi un parfum de mystère, mystère de mots tus, d’histoires racontées à voix basses et de grenier interdit. Enfant curieuse à l’imagination débordante, j’aimais la parcourir dans toutes ses longueurs, dans toutes ses largeurs, attendant qu’un regard adulte se détourne pour ouvrir une armoire, un coffre, une porte ou un tiroir.Je n’ai jamais rien découvert, si ce n’est qu’elle fût la première inspiratrice de mes rêves et de mes histoires. Après une de ces courses effrénées, je finissais toujours au même endroit, dans cette chambre un peu fanée. La chambre de ma grand-mère, où se mêlait le parfum, l’humidité, la mer lointaine. Je me laissais tomber sur le grand lit aux ressorts mous et j’embrassais la pièce d’un regard; les bijoux de ma grand-mère sur le guéridon d’ébène, le grand miroir, la cheminée et toute cette multitude de bibelots d’un autre temps. Puis, enfin, je m’endormais…

Featured Review
Tag Cloud
bottom of page